La force creatrice de la lumière

 

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Une lumière pénétrant par une petite ouverture dans une chambre obscure transporte l'image du monde extérieur dans la camera obscura. Il y a 2 500 ans, des Chinois astucieux comme Mo Zi de l'école des mathématiciens des Mohistes ont reconnu que la lumière qui est bloquée en haut jette son ombre vers le bas de la chambre et inversement. Puisque la lumière se propage de manière rectiligne, elle se retrouve à l'envers à l'intèrieur.  Ils ètaient plus précis que nous, en qualifiant les images à l'intérieur d'ombres colorés. Par conséquent, l'utilisation de la notion de chambre d'ombre pour la camera obseura est également correcte. Les Mohistes ont aussi expliqué les relations entre un corps et son ombre. Voinbre d'un oiseau qui vole au delà semble aussi voler dans la camera obscura. Ils ont défini cela comme une illusion. La durée pendant laquelle l'oiseau bloque l'ouverture et pendant laquelle on aperçoit sa représentation à l'intérieur est très courte. Cependant, l'image que l'on croit apercevoir se dissipe instantanément, une nouvelle ombre se forme qui bloque un autre rayon lumineux. En effet, ce que l'on voit est une suite infinie d'ombres qui apparaissent et disparaissent rapidement. Ils en ont conclu qu'une ombre est toujours immobile.     
De même, notre capacité à percevoir rapidement des images successives d'un film comme une suite d'images animées s'appuie sur cette constatation. Au milieu du XIV' siècle, Zhao Youquin étudie la corrélation entre les formes et les dimensions de l'ouverture du trou ainsi qu'entre la distance de la source lumineuse, la luminosité et la dimension de l'image. Il a découvert que la forme de l'ouverture, qu'elle soit arrondie ou angulaire, n'a aucune importance pour l'image, cel-le-ci se présente toujours arrondie. Sa dimension détermine aussi sa luminosité. Plus l'image recueillie est petite, plus elle semble lumineuse. Et plus l'ouverture est grande, plus elle est lumineuse. Nous savons aujourd'hui grâce au développement de l'appareil sténopé, que plus le trou est petit, plus l'image est sombre, mais nette. Par conséquent, le négatif photographique nécessite une durée d'exposition plus longue. Si l'on choisit une ouverture plus grande, l'image devient plus lumineuse, mais également plus floue. Or, le floue d'où vient-il en réalité? Pour mieux comprendre, retournons au temps de Giovanni Battista della Porta qui décrivit dans son Magia Naturalis, autour de 1550, comment le monde extérieur peut être multiplié grâce à l'utilisation de plusieurs petites ouvertures. Où bien songeons à nouveau à l'illustration merveilleuse qu'a réalisé Mario Bettini en 1646 dans son « Apiaria ».. Un soldat éclairé par le soleil se multiplie en armée dans la chambre obscure, puisque beaucoup de petits trous créent beaucoup d'images. De là, je conclus qu'une plus grande ouverture du trou laisse entrer en même temps plusieurs images côte à côte dans la chambre noire qui se recouvrent et crée ainsi une image avec des contours qui se chevauchent ou sont décalés l'un par rapport à l'autre. Sur les bords, l'image est plus sombre, tandis que le centre apparaît comme le point le plus lumineux, puisque la plupart des rayons y sont superposés comme lors d'une exposition multiple. La longue exposition à la lumière ou l'exposition multiple conduit en photographie et au cinéma, au même résultat: un négatif noir qui produira un positif blanc. En superposant des images à l’infini, selon le degré de luminosité on ne discerne plus rien. Si nous sommes assis de jour dans une chambre dans laquelle la lumière pénètre par de grandes fenêtres nous ne sommes pas conscient du phénomène d'un recouvrement infini des images. Ce que nous percevons comme une chambre éclairée, qui est en fait illuminée par la lumière du jour, est en effet une pièce qui contient des milliards d'images du monde extérieur que nous ne pouvons pas toutes voir parce qu'elles deviennent invisibles suite à la superposition de leurs luminosités.
La transparence et la translucidité ont toujours joué un rôle majeur dans l'histoire des médias visuels. Le théâtre d'ombres colorés, fait en papiers ou peaux animales découpées (parchemins) qui représentent des humains, a ses origines dans la Chine de la dynastie des Han au IIe siècle av. J.-C., et s'est étendu au cours des siècles avec un univers d'image en couleurs jusqu'en Grèce et en Afrique du Nord.
Autour de 1630, des navigateurs néerlandais ont apporté des lampions en provenance de Chine'. A l'extérieur, un cylindre en partie translucide sert de surface de projection à un cylindre interne décoré de dessins. La vitesse de rotation est déterminée par la chaleur échappée des bougies qui se trouvent au centre. Des baleines, des navires, des monstres marins, etc. tournent dans les ouvertures du cylindre extérieur. Des perforations et des dessins géométriques abstraits découpés produisent un effet kaléidoscopique à l'aide de spirales de couleur éclairées de l'intérieur. Des réfractions de la lumière colorées dans des petites ouvertures qui étaient des jouets domestiques ont été baptisées de « Chinese », « Artificial Firework », « Feux Pyriques » ou « Chinesisches Feuerwerk ».

Comme ce fut le cas des opérateurs pour les frères Lumière plus tard, le XVIIe siècle est marqué par l'affluence de dessinateurs, équipés de leur,camera obscura transportable voyageant dans le monde entier, pour dessiner des monuments pour la boîte d'optique. C'est probablement avec les démonstrations des feux pyriques qu'on a commencé, au début du XVIIIe siècle, à perforer aussi les vues pour les boîtes d'optiques, à les rendre transparentes grâce à des huiles ou également à recouvrir les ouvertures avec des tissus colorés en soie. Ainsi les images sont animées a l'aide de la lumière. Les jeux crées par une balance entre la lumière incidente et un rétro-éclairage, procurent l'impression d'un écoulement du temps. Au XVIIe siècle, on trouve également des images très délicatement piquées avec une aiguille, qui, éclairées laissent apparaître leurs motifs.
A partir de 1720 sort fabriqués en Hollande des théâtres en trois dimensions en verre, afin de donner une profondeur spatiale à l'image; on peut les contempler dans une boîte d'optique avec une lumière à l'avant et une à l'arrière ; jusqu’à sept vitres sont peintes des deux cotés et placées l'une derrière l'autre dans un cadre en bois. Ces théâtres en perspective en verre peuvent être considérés comme les précurseurs des images tridimensionnelles.

C'est en photographie que le théâtre en perspective en verre renaît en 1920 sous la forme de «Stéréosynthèse » grâce à Auguste Lumière. Celui-ci a fabriqué dix portraits photographiques différents comprenant cinq a sept couches en verre qui rappellent les images tomographiques en couches. Ce sont les premières images qui peuvent apparaître en trois dimensions sans avoir à diviser l'angle par lequel on regarde, donc sans le recours à des lunettes anaglyphes ou un stéréogramme parallaxe.
Vers 1740, un dessinateur anonyme d'Allemagne du Sud a utilisé la particularité de la translucidité du papier pour faire ressortir une représentation cachée au dos d'un papier en l'éclairant. Dans la moitié gauche de ses images se présente un mystère, qui se dévoile uniquement en éclairant la moitié droite du papier. Environ cinquante ans plus tard, des peintres comme Philipp Hackert, Caspar David Friedrich ou Thomas Gainsborough ont utilisé la translucidité pour leurs oeuvres d'art.
Vers 1799 de nombreuses gravures arrivent sur le marché anglais, celles-ci représentent des sources lumineuses tels que des bougies, des torches, du feu ou encore la lune, rendues transparentes à l'aide d'une peinture au verso, et utilisées afin de créer une ambiance romantique par le contraste entre ombre et lumière. En 1807, Edward Orme écrit son ouvrage de référence An essay on transparent prints and on transparency in general, un guide pour la fabrication d'images transparentes à l'utilisation les plus diverses comme pour des éventails, des abat-jour, des paravents, etc. Dans son ouvrage, il a aussi présenté un procédé, qui décrit la fabrication des papyrographies. Des couches de papier d'épaisseurs et de formes différentes sont collées sur un porte-objet. L’image devient visible par éclairement, comme c'est le cas pour les filigranes.
Vers 1820, des images brûlées dans de la porcelaine en biscuit cuite deux fois sont apparues sur le marché, appelées lithophanies (littéralement pierres transparentes)
L’irlandais Robert Barker peint en 1792 la première image à 360 degrés, intitulée London from the roof of the albion mills. Cette vue panoramique est un élargissement de l'image de la boîte d'optique sur 360 degrés. Edward Orme a déjà suggéré de rendre transparents les panoramas, qui étaient les premiers mass médias visuels pour lesquels la visite publique était payante, et de les présenter avec des effets spéciaux lumineux.

Vers 1790, à Londres, une telle présentation, nomme Eidophusikon, réalisée par Philippe Jacques Loutherbourg, avait déjà connu un grand succès. A une échelle plus petite, il a placé sur une plateforme ayant la taille d'une chambre ordinaire un panorama en rotation. Jacques Louis Mandé Daguerre délimita à nouveau l'image sur la grande plateforme de la boîte d'optique et présenta, à Paris, ses images dioramiques illuminées et équipées d'effets sonores. Il est parvenu a raccourci r l'écoulement du temps grâce à des effets d'optiques, placés devant et derrière les toiles qui 1 sont en partie translucides. Vers 1835, William Spooner publie trois grandes séries d'images transparentes à transformations.

Outre la peau humaine ou animale, le Mica est un des premiers supports d'images transparentes. A partir de 1600, on trouve par exemple des images «Overlay» en Mica dans les Schraubthalern (ce sont des coins ouvrables à l'aide d'un filet qui cachent des ,images à l'intérieur). Servant de cadeaux de mariage ils révèlent à la mariée les ustensiles du pouvoir, habillage, coiffures, et statut social. Plus tard on le retrouve surtout dans l'art indien ou il sert à donner à une tête peinte à l'aquarelle, un corps, des instruments ou des habits les plus divers.
Au début de XVIIe siècle, des images en colle de poisson - porte-objets organiques et transparents, essentiellement produits dans les monastères - apparaissent. Il s'agit de colle bouillie, récupérée dans les poissonneries qui, après teinture est assimilée à une image et utilisée comme cadeau pour des causes religieuses. Par la suite, on se sert d'avantage de la gélatine d'os qui s'acquiert plus aisément. Ces images en colle de poisson ont la particularité de se courber dans la main grâce à la chaleur créée par la paume ou l'haleine.

Déjà les plus anciennes images de la lanterne magique avaient été peintes sur des vitres transparentes. En France, ce fut le rhodoïd, inventé autour de 1840, qui servait alors de support transparent à la fois flexible et qu'on peut enrouler.
De cette façon, un grand nombre d'images fixées sur une longue bande pouvait être présentées successivement grâce a une manivelle. Le film rhodoïd obtenu en tirant profit de l'acétate de cellulose se manifeste ainsi comme un précurseur du film enroulé qui sera employé plus tard dans la photographie et le cinéma.
A partir de 1800, des images telles que les ombres blanches «white shadows », coptographies, mégalographies ou découpures, ont été fabriquées principalement en Hollande, mais plus tard également en France et en Allemagne. La lumière produite par une bougie pénètre par des segments découpés négativement dans le papier et projette une image positive agrandie. Outre le Memento Mori ou des animaux, la plupart des projections exposées dans tous les séjours domestiques représentent des personnalités de l'histoire contemporaine.

Les jouets séditieux sont très populaires, vers 1810, au temps postrévolutionnaire français. Des têtes tournées étaient dissimulées dans les poignées des cannes, dans les cachets ou les figurines de jeux d'échecs; seule leur ombre démasquait l'esprit politique du propriétaire.
Le cliché-verre est une variante photographique. Vers 1853 les artistes de l'Ecole de Barbizon, composé entre autres d’Eugène Delacroix et Camille Corot, ont réalisé des expériences en posant sur du verre des couches opaques, gravées de la main de l'artiste, et qui éclairées à la lumière du jour, reproduisent sur le papier sensible le dessin. Les expositions directes de la couche photographique sensibilisée, sans appareil photographique, à l'aide de matériaux qui ne laissent pas passer la lumière, sont intitulés Schadographies en 1919 (d'après le peintre allemand Christian Schad), Rayographies en 1922 (d'après Man Ray, en France) ou photogramme par László Moholy-Nagy. -
A partir de 1882, on trouve, sur les Chronophotographies d'Etienne Jules Marey, des expositions multiples d'une image, qui superposent les étapes successives du. déroulement d'un mouvement. La décomposition d'un mouvement en une suite d'images successives a conduit à la photographie instantanée et, plus tard, au cinéma.
C'est avec l'analyse des propriétés de la lumière au cours des siècles, qui est marque par de nombreuses découvertes et inventions, qu 1 on a finalement abouti au monde des médias actuels.
La camera obscura des Mohistes a été miniaturisée et ainsi, a pu devenir mobile. La petite ouverture peut être ouverte et fermée à intervalles très courts. Si le porte-objet n'est pas transporté à l'intérieur de la camera obscura, des expositions assemblées ou multiples peuvent être réalisées: c'est une méthode impressionnante dans la photographie artistique et le film expérimental du XXe siècle, qui est utilisé pour la condensation du champ de l'image visuel et sémantique. Si la position de la camera obscura entre les différentes images change, non seulement il y a un montage elliptique du temps, mais aussi de l'espace dans l'image. Si deux petites ouvertures, espacées d'une distance semblable à celle de nos yeux, équipent des prismes en parallaxe, des filtres polaires ou anaglyphes, l'image projetée peut être vue en trois dimensions à l'aide de lunettes appropriées. Si les ouvertures se trouvent à une certaine distance tout autour de la camera obscura, un objet cylindrique peut reproduire l'image à l'extérieur en forme de panorama à 360 degrés. Une illustration de Johann Zahn dans l'Oculus artificialis teledioptricus sive telescopium de l'année 1685 illustre la perception du monde des images qui nous entoure de façon visionnaire. Chaque point en ce monde contient une infinité d'images. Aujourd'hui, ces images peuvent être rendues visibles au moyen de nouvelles technologies.
Comme ce fut le cas pour Mo Zi, notre devoir est de choisir une seule image parmi toutes les autres, dans le but de la rendre visible.

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